L’économie de la culture de la noix de coco dans l’archipel de Koh Samui : un siècle d’histoire (1925–2025)
Introduction
Avant de devenir l’une des destinations touristiques les plus connues d’Asie du Sud‑Est, l’archipel de Koh Samui – comprenant principalement Koh Samui, Koh Phangan et Koh Tao – reposait sur une économie rurale et maritime dominée par la culture de la noix de coco. Pendant plus d’un siècle, le cocotier a façonné les paysages, structuré les relations sociales et assuré la subsistance de milliers de familles insulaires. Cette culture, adaptée aux sols sableux, au climat tropical humide et à l’insularité, a constitué la colonne vertébrale économique de l’archipel jusqu’à la fin du XXᵉ siècle.
Retracer l’évolution de l’économie de la noix de coco à Koh Samui sur les cent dernières années permet de comprendre non seulement l’histoire agricole de l’archipel, mais aussi les profondes mutations économiques, sociales et environnementales qu’il a connues. De l’agriculture de subsistance à l’intégration dans les marchés nationaux, puis à son déclin relatif face au tourisme, la noix de coco demeure aujourd’hui un marqueur identitaire et un secteur économique de niche à forte valeur symbolique.
1. Les origines de la culture du cocotier à Koh Samui (avant 1925)
La présence du cocotier à Koh Samui est antérieure au XXᵉ siècle. Introduit probablement par des échanges maritimes régionaux entre la péninsule malaise, le sud de la Thaïlande et l’archipel indonésien, le cocotier s’est rapidement imposé comme une plante idéale pour les îles du golfe de Thaïlande. Résistant au sel, peu exigeant en entretien et productif sur plusieurs décennies, il répondait parfaitement aux contraintes insulaires.
Les premières communautés installées durablement sur Koh Samui pratiquaient une économie de subsistance fondée sur la pêche, la riziculture limitée et la culture du cocotier. La noix de coco fournissait une ressource polyvalente : nourriture (chair fraîche, lait de coco), matériaux (coques, fibres), huile pour la cuisine et l’éclairage, et produits d’échange avec le continent.
2. 1925–1950 : une économie agricole insulaire structurée
Au début du XXᵉ siècle, Koh Samui est encore relativement isolée du reste de la Thaïlande. L’absence de routes, d’électricité et d’infrastructures modernes renforce l’autonomie économique des communautés locales. La noix de coco devient alors la principale culture commerciale de l’île.
Durant cette période, la majorité des familles possèdent leurs propres cocoteraies. La production est essentiellement familiale, transmise de génération en génération. Les cocotiers sont plantés en densité modérée, souvent en association avec d’autres cultures vivrières comme les bananiers ou les arbres fruitiers.
L’économie de la noix de coco repose sur un système d’échange : les noix séchées (coprah) sont transportées par bateau vers Surat Thani ou Nakhon Si Thammarat, où elles sont transformées en huile ou revendues sur les marchés nationaux. Les revenus, bien que modestes, assurent une relative stabilité économique aux habitants.
3. 1950–1975 : intégration progressive aux marchés nationaux
Après la Seconde Guerre mondiale, la Thaïlande connaît une modernisation progressive de ses infrastructures. Koh Samui reste périphérique, mais les liaisons maritimes s’améliorent, facilitant l’exportation du coprah.
La demande nationale et internationale en huile de coco augmente, notamment pour l’industrie alimentaire et cosmétique. Les producteurs de Koh Samui bénéficient de cette conjoncture favorable. La culture du cocotier devient plus intensive : davantage de surfaces sont consacrées aux plantations, parfois au détriment des cultures vivrières.
Cependant, cette intensification reste limitée par les contraintes géographiques. L’absence de mécanisation lourde et la petite taille des exploitations maintiennent une agriculture à forte intensité de main‑d’œuvre. Le travail du cocotier – récolte, décorticage, séchage – structure la vie quotidienne des insulaires.
4. 1975–1990 : l’apogée de la noix de coco à Koh Samui
Les années 1970 et 1980 marquent l’apogée économique de la noix de coco dans l’archipel. Koh Samui est alors reconnue au niveau national comme l’un des centres majeurs de production de cocotiers de qualité. Certaines variétés locales sont réputées pour leur chair épaisse et leur rendement élevé.
Les revenus issus du coprah permettent aux familles d’investir dans l’éducation de leurs enfants, la construction de maisons plus solides et l’amélioration des conditions de vie. La noix de coco devient un pilier de l’identité locale : fêtes, traditions et savoir‑faire sont étroitement liés à cette culture.
C’est également durant cette période que se développe l’usage des singes dressés pour la récolte des noix de coco, une pratique emblématique mais controversée, symbolisant à la fois l’ingéniosité locale et les contraintes du travail agricole.
5. 1990–2005 : le choc du tourisme et le déclin relatif
L’essor rapide du tourisme à partir des années 1990 bouleverse profondément l’économie de Koh Samui. Les terres agricoles, notamment les cocoteraies proches des plages, prennent une valeur foncière considérable. De nombreux propriétaires vendent leurs terrains pour la construction d’hôtels, de resorts et de résidences.
La culture de la noix de coco entre alors dans une phase de déclin relatif. Les jeunes générations se détournent de l’agriculture, attirées par les emplois plus rémunérateurs du tourisme et des services. La main‑d’œuvre agricole se raréfie, rendant l’entretien des cocoteraies plus difficile.
Cependant, la noix de coco ne disparaît pas. Elle change de rôle : de pilier économique dominant, elle devient une activité secondaire ou complémentaire, souvent maintenue par attachement culturel plus que par rentabilité pure.
6. 2005–2020 : reconversion et montée en valeur ajoutée
Face à la concurrence internationale et à la baisse des prix du coprah, certains producteurs de Koh Samui se tournent vers des stratégies de différenciation. La transformation locale de la noix de coco se développe : huile vierge, cosmétiques naturels, produits de spa, savons artisanaux.
Cette reconversion s’inscrit dans une logique de montée en gamme, soutenue par l’image touristique de l’île comme destination de bien‑être et de nature. La noix de coco de Koh Samui devient un produit identitaire, valorisé dans les circuits courts et les marchés spécialisés.
Parallèlement, des initiatives émergent pour préserver les cocoteraies restantes, perçues comme un patrimoine paysager et écologique essentiel à l’équilibre de l’île.
7. 2020–2025 : patrimoine, durabilité et avenir incertain
Aujourd’hui, la culture de la noix de coco à Koh Samui n’est plus dominante en termes de contribution au PIB local, mais elle conserve une importance stratégique et symbolique. Elle joue un rôle dans la diversification économique, la sécurité alimentaire partielle et la préservation de l’identité locale.
Les enjeux contemporains sont multiples : pression foncière, changement climatique, vieillissement des agriculteurs, mais aussi opportunités liées à l’agriculture durable, au bio et au tourisme responsable. La noix de coco apparaît de plus en plus comme un levier de résilience face à la dépendance excessive au tourisme.
Conclusion
En l’espace de cent ans, l’économie de la culture de la noix de coco dans l’archipel de Koh Samui est passée d’un modèle agricole de subsistance à un secteur commercial structurant, avant de connaître un déclin relatif face à la montée du tourisme. Loin d’être marginale, la noix de coco demeure un symbole fort de l’histoire économique et sociale de l’île.
Si son rôle économique direct est aujourd’hui limité, son potentiel en tant que produit à forte valeur ajoutée, durable et identitaire reste important. À l’heure où Koh Samui cherche à repenser son modèle de développement, la culture du cocotier pourrait redevenir, sous une forme renouvelée, un pilier d’un développement plus équilibré et respectueux de son héritage.


