Chaque année, lorsque l’hiver s’abattait sur l’Europe, elle s’envolait vers une île lointaine comme on retourne à un rêve trop lumineux pour être oublié.
Koh Samui n’était d’abord qu’une parenthèse — un refuge où le monde semblait ralentir, où la mer parlait bas, où la lumière prenait la douceur du miel.
Et puis, un jour, sans qu’elle s’en aperçoive, l’île commença à la happer, comme si elle lui murmurait : Reste.
Lorsque je la rencontrai, la mer scintillait à ses pieds. Elle avançait avec cette assurance tranquille des femmes qui ont conquis leur propre liberté.
Sa tenue, légère, colorée, ondulait dans le vent comme une promesse de soleil éternel. Elle sortit de son bureau, un sourire franc accroché aux lèvres.
« Les lunettes de soleil sont indispensables ici », lança-t-elle, dans un éclat de rire qui semblait déjà faire partie du décor.
Cette femme, c’est Pauline, devenue par un détour du destin l’âme de Cielo Samui, un hôtel-boutique posé sur la plage de Bo Phut.
Elle et son mari, François, avaient longtemps fui la froideur hivernale de Saint-Tropez pour venir s’abandonner à la douceur de l’île. Ils y séjournaient souvent, toujours au même hôtel, jusqu’au jour où le propriétaire — un Français à l’accent paresseux — leur glissa presque malgré lui qu’il songeait à vendre.
Ce fut une phrase comme un caillou dans l’eau : elle fit des ronds, s’étendit, revint les hanter.
Dans l’avion du retour, l’idée devint une obsession tendre : Et si ? Et si leurs vies, guidées jusque-là par l’habitude, pouvaient soudain bifurquer vers quelque chose de plus audacieux ?
Alors, en 2017, ils osèrent la folie douce : quitter la France, les amis, la famille, pour tenter l’inconnu. Pauline n’avait jamais dirigé un hôtel. Mais certaines décisions obéissent moins à la raison qu’à cet instinct profond qui chuchote qu’on est à la veille de se rencontrer soi-même.
Elle dit aujourd’hui :
« Si on ne tente pas un peu de folie, on risque de se réveiller trop tard, un matin, sans avoir vécu ce qu’on aurait pu vivre. »
L’hôtel, une métamorphose
À Saint-Tropez, elle dirigeait un restaurant. Elle y avait perdu quelque chose — une part d’elle-même, peut-être — dans le bruit, le luxe, les apparences.
« Je n’avais plus de temps pour ma famille. Je ne ressentais plus la vérité du métier, ce lien sincère avec les gens », confie-t-elle.
Ici, sur l’île, tout redevint simple, comme si sa vie retrouvait sa couleur naturelle.
Puis survint la pandémie. Le monde entier se figea. Et Pauline décida de transformer l’hôtel, de le façonner à son image.
Elle imagina des murs à la chaux, des sols de pierre, des couleurs de sable, de terre, de mer. Elle ajouta un studio de yoga, un spa, des espaces pour respirer. Comme si, en remodelant les lieux, elle sculptait aussi une nouvelle existence.
Neuf mois de travaux. Des nuits blanches. Des choix qui se superposent, s’effacent, reviennent. Mais au bout du chemin : un havre.
Un métier entre lumière et ombre
« Les gens croient que ma vie est idyllique », sourit-elle.
Les cocotiers, le soleil, les couchers de soleil couleur pêche… Mais la réalité est une partition plus subtile, faite de 45 employés à guider, de clients aux caprices étranges — certains se plaignent du bruit des vagues, d’autres de la dureté du sable.
Elle hausse les épaules :
« Je ne peux pas contrôler la nature. »
Ce qu’elle peut contrôler, en revanche, c’est l’accueil, l’attention, la chaleur qu’elle offre. Elle parle à chacun de ses employés en thaï. Elle connaît les prénoms, les familles, les histoires. Elle salue chaque client avec une douceur presque instinctive.
Une vie réinventée
Ses deux enfants grandissent ici, dans une école internationale. Sa mère vit à quelques rues de là, attirée elle aussi par cette île qui semble retenir ceux qui s’y attachent.
Pauline aime la sécurité, la lenteur douce, la bienveillance thaïlandaise, ces sourires qui jaillissent comme des fleurs.
« Ici, les gens sourient. À Paris, personne ne sourit dans le métro », dit-elle en riant.
Elle ne retournera jamais vivre en France. Elle le sait avec une certitude calme, profonde, ancrée. L’île est devenue bien plus qu’un lieu : c’est un foyer, une boussole, un refuge.
« Je ne quitterai jamais la Thaïlande », dit-elle, comme on dit une vérité qui ne demande aucune preuve.
