Bor Sang, le village où naissent les ombrelles
Voyage au cœur de l’artisanat vivant de Chiang Mai
À Chiang Mai, dans le nord de la Thaïlande, il existe un village où l’ombre n’est pas une absence de lumière, mais une création patiente, façonnée à la main, décorée avec soin et transmise de génération en génération. Bor Sang n’est pas seulement un lieu : c’est un savoir-faire, une mémoire collective, un ballet de gestes anciens qui se déploie sous des ateliers ouverts au vent.
Ici, l’ombrelle n’est pas un simple objet utilitaire. Elle est protection, symbole, héritage. Elle raconte le rapport intime que la Thaïlande entretient avec le soleil brûlant, les pluies de mousson, la spiritualité et la beauté du quotidien.
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L’ombrelle en Thaïlande : entre nécessité et sacré
En Thaïlande, les parapluies et ombrelles sont partout. On les déploie sous un ciel d’azur implacable, bien avant que les nuages de la mousson ne s’amoncellent et libèrent leur pluie dense, soudaine, capable de tremper un passant en quelques secondes. Ne pas avoir d’ombrelle, c’est s’exposer, littéralement, aux caprices du climat tropical.
Mais l’ombrelle est bien plus qu’un abri. Elle occupe une place profondément symbolique dans la culture thaïlandaise. Dans la tradition royale, elle incarne l’autorité suprême : les monarques sont représentés sous des ombrelles à neuf niveaux, dont les étages évoquent les huit points cardinaux et le poids du pouvoir qui repose sur celui qui gouverne.
Dans le bouddhisme, l’ombrelle est également un symbole de protection spirituelle, un rempart contre la souffrance, le mal et l’ignorance. Elle figure parmi les objets auspices, rappelant que l’on peut se préserver tout en restant ouvert au monde.
Une histoire universelle, ancienne comme le soleil
L’histoire des ombrelles traverse les civilisations. Bien avant d’être associées à la pluie, elles furent conçues pour se protéger du soleil. Des représentations ont été retrouvées sur des bas-reliefs de l’Égypte antique, à Thèbes, ainsi que dans les ruines majestueuses de Persépolis, l’ancienne capitale perse.
On pense que les premières ombrelles pliantes, dotées de baleines soutenant une toile, ont vu le jour en Chine il y a plus de 2 000 ans. Partout dans le monde, elles sont devenues des symboles de statut et de pouvoir. En Birmanie, le roi portait autrefois le titre évocateur de « Seigneur des 24 ombrelles », preuve de l’importance accordée à cet objet en apparence humble.
La naissance des ombrelles de Bor Sang
Le voyage d’un moine et l’écorce du mûrier
La légende raconte que l’histoire des célèbres ombrelles thaïlandaises commence avec un moine du nom de Phra Intha. Lors de ses voyages en Birmanie — l’actuel Myanmar — il observa des artisans fabriquer de délicates ombrelles à partir d’écorce de mûrier, appelée sa.
Enduites d’huile, ces ombrelles avaient la particularité de protéger à la fois de la pluie et de la chaleur, tout en restant légères et élégantes. Fasciné par leur ingéniosité et leur beauté, le moine rapporta quelques exemplaires dans son village natal de Bor Sang, situé à quelques kilomètres de Chiang Mai.
Il y transmit son savoir. Les habitants apprirent à travailler le papier sa, à façonner le bambou, à assembler les structures. Très vite, ils y ajoutèrent leur propre sens esthétique, leurs motifs, leurs couleurs. L’artisanat de l’ombrelle devint une activité essentielle, notamment durant la saison des pluies, offrant du travail et une source de revenus stable à la communauté.

Bor Sang aujourd’hui : un village façonné par l’art
Plusieurs décennies ont passé, mais Bor Sang demeure le cœur battant de la fabrication artisanale d’ombrelles en Thaïlande. Ici, on ne parle pas de production industrielle. Chaque pièce est le fruit d’un travail manuel minutieux, répété inlassablement, perfectionné avec le temps.
Le village ne fabrique pas seulement des ombrelles. On y trouve une profusion d’objets issus du même savoir-faire : éventails géants aux couleurs éclatantes, lampes délicates, décorations peintes à la main. Flâner à Bor Sang, c’est entrer dans un monde où la couleur semble avoir trouvé refuge.
Une coopérative pour préserver la mémoire
En 1941, les artisans de Bor Sang ont fondé une coopérative : la Bor Sang Umbrella Making Cooperative. Son objectif n’était pas la croissance à tout prix, mais la préservation des traditions, la transmission des gestes et la protection de l’identité artisanale du village.
Les ateliers sont ouverts, construits en bois, baignés de lumière. Le visiteur peut y circuler librement, observer chaque étape de fabrication, s’arrêter, regarder, écouter. Ici, rien n’est caché. Le savoir se partage dans le silence des gestes répétés.
Le bambou, première respiration de l’ombrelle
Tout commence par le bambou, choisi pour sa souplesse et sa résistance. Assis à même le sol, les artisans manient leurs couteaux avec une précision presque irréelle. Les lames glissent, fendent, séparent les fibres dans un rythme rapide, fluide, hypnotique.
Ce qui frappe, c’est l’aisance. Les gestes sont si sûrs qu’ils semblent instinctifs. Les artisans discutent entre eux, sourient, échangent, tout en sculptant les futures baleines et les manches des ombrelles. On se surprend à retenir son souffle, tant la rapidité de leurs mouvements semble défier toute maladresse.
Le papier sa : une peau végétale
Une fois l’armature achevée, vient le tour du papier sa, fabriqué à partir d’écorce de mûrier. Parfois remplacé par du coton ou du papier de riz, il reste l’âme traditionnelle de l’ombrelle de Bor Sang.
Les artisans font tourner la structure entre leurs mains, certains maintenant la base des plus petites ombrelles entre leurs orteils. Le papier est appliqué, ajusté, renforcé. Puis viennent les couches de laque, patiemment superposées, qui rendent l’ombrelle imperméable et durable.
Chaque rotation est un dialogue entre la matière et le geste. Rien n’est précipité. Tout est mesuré.
Bor Sang, quand la couleur devient mémoire
Peintres d’ombrelles, rituels de création et fête d’un village
À Bor Sang, le temps ne se mesure pas en heures mais en gestes répétés, en couches de laque séchant à l’air libre, en pigments qui prennent vie sous la pointe d’un pinceau. Lorsque l’armature est prête et que le papier sa épouse parfaitement la forme de l’ombrelle, commence alors l’étape la plus attendue, la plus visible, la plus émouvante : la peinture.
C’est ici que l’ombrelle cesse d’être un objet pour devenir un récit.
Les peintres d’ombrelles
Quand la main raconte la Thaïlande
Dans les ateliers ouverts de Bor Sang, les peintres s’installent en silence. Devant eux, des dizaines d’ombrelles vierges, prêtes à recevoir leurs couleurs. Les pinceaux s’imbibent de pigments éclatants, et sans esquisse préalable, les motifs surgissent avec une assurance troublante.
En quelques minutes à peine, une scène se déploie :
un éléphant avançant lentement dans une rizière,
un coucher de soleil embrasant l’horizon,
des fleurs stylisées,
des oiseaux suspendus dans le mouvement.
Chaque ombrelle est unique. Aucune ne se répète tout à fait. Les artistes ne copient pas, ils réinterprètent. Leur mémoire visuelle est immense, nourrie par la nature, les croyances, les gestes du quotidien.
Symboles et scènes de vie
Un langage peint à la main
Les motifs qui ornent les ombrelles de Bor Sang ne sont jamais anodins. Ils puisent dans un imaginaire collectif profondément enraciné dans la culture thaïlandaise.
- L’éléphant, symbole de sagesse et de royauté
- Les rizières, métaphore de la vie et de l’abondance
- Le soleil, rappel du cycle éternel
- La flore tropicale, célébration de la fertilité et de l’harmonie
Ces images racontent une Thaïlande rurale, lente, en dialogue constant avec la nature. Elles fixent sur le papier sa des scènes éphémères, comme si l’ombrelle devenait une mémoire portative.
L’artisanat comme rencontre
Quand les visiteurs deviennent toiles vivantes
À Bor Sang, les artistes ne se contentent pas de peindre des ombrelles. Ils proposent aussi de peindre les objets des visiteurs : sacs, chaussures, chapeaux, vêtements. Un geste simple qui transforme un accessoire banal en souvenir profondément personnel.
Les couleurs semblent vibrer davantage sur les tissus foncés, où les pigments éclatants trouvent un contraste parfait. On voit parfois des scènes inattendues : un dragon s’étirer sur un short d’enfant, des fleurs éclore sur une toile de sac.
Un jeune garçon, les yeux brillants, contemple les dragons fraîchement peints sur son vêtement. Sa mère sourit, déjà consciente qu’elle aura du mal à convaincre son fils de s’en séparer le jour de la lessive.
L’ultime détail : achever l’ombrelle
Une fois la peinture terminée, l’ombrelle reçoit son embout métallique, discret mais essentiel. Puis elle est laissée à sécher, alignée parmi d’autres, formant une forêt de couleurs immobiles.
Beaucoup de ces ombrelles ne connaîtront jamais la pluie. Leur destinée est ailleurs : décoration murale, pièce centrale d’un intérieur, souvenir suspendu à un plafond lointain. D’autres voyageront encore plus loin, expédiées à l’étranger, portant avec elles un fragment de Bor Sang.
Le festival des ombrelles de Bor Sang
Quand tout un village célèbre sa lumière
Chaque année, au mois de janvier, Bor Sang s’illumine. Pendant trois jours, le village célèbre ce qui le fait vivre à travers le Bor Sang Umbrella and Sankampaeng Handicraft Festival.
Les rues se parent de lanternes, les façades disparaissent sous des centaines d’ombrelles suspendues, créant une voûte de couleurs mouvantes. Le soir venu, la lumière traverse le papier sa, projetant des ombres douces, presque irréelles.
Un concours est organisé pour récompenser l’ombrelle la plus belle, la plus inventive, la plus fidèle à l’esprit du lieu. Mais au-delà de la compétition, c’est toute une communauté qui célèbre son identité.
En janvier, le climat de Chiang Mai est particulièrement agréable. L’air est frais, le ciel limpide. C’est sans doute le meilleur moment pour visiter Bor Sang et ressentir pleinement l’âme du village.
L’artisanat comme économie vivante
À Bor Sang, l’artisanat n’est pas une reconstitution folklorique. Il est une économie vivante, une alternative à l’exode rural, une manière de rester fidèle à un territoire.
Chaque ombrelle vendue soutient une famille, un savoir-faire, une continuité. Chaque visite est une reconnaissance silencieuse de la valeur du travail manuel dans un monde de plus en plus standardisé.
Conseils pratiques pour visiter Bor Sang
- Horaires : tous les jours de 8h30 à 17h00
- Localisation : San Kamphaeng Road, à environ 8 km à l’est du centre de Chiang Mai
- Accès : facilement accessible en songthaew, scooter ou excursion organisée
- Durée de visite recommandée : 1h30 à 2h
- Meilleure période : novembre à février (climat frais), janvier pour le festival
Bor Sang, l’ombre comme héritage
En quittant Bor Sang, on emporte rarement seulement une ombrelle. On emporte un rythme, une attention, une autre manière de regarder le monde. On se souvient du bruit du bambou que l’on fend, du pinceau qui glisse, de la couleur qui surgit sans hésitation.
L’ombrelle, fragile en apparence, devient alors un symbole durable : celui d’un art qui protège, non seulement du soleil et de la pluie, mais aussi de l’oubli.




