À la découverte de Kudi Chin
le musée vivant du patrimoine multiculturel de Bangkok
Sur la rive paisible de Thonburi, à Bangkok, blotti contre les eaux changeantes du Chao Phraya, se trouve un quartier dont le charme singulier attire de plus en plus de visiteurs curieux et de passionnés d’histoire : Kudi Chin, parfois orthographié Kudeejeen. Ce petit bout de ville, pourtant discret et souvent absent des circuits touristiques traditionnels, est sans doute l’un des lieux les plus révélateurs du passé multiculturel de la capitale thaïlandaise.
En se promenant dans ses ruelles, on ne découvre pas simplement un quartier ancien : on plonge dans un musée vivant, façonné par des siècles de migrations, d’échanges commerciaux, de cohabitation religieuse et de traditions préservées.
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Un quartier né de l’histoire mouvementée du Siam
L’histoire de Kudi Chin remonte à la fin du XVIIIᵉ siècle, à une époque où le royaume de Siam traversait l’une des périodes les plus tumultueuses de son histoire. Lorsque la capitale d’Ayutthaya tomba en 1767 sous les attaques birmanes, un grand nombre de communautés durent fuir et se disperser. Parmi elles, de nombreux Chinois Hokkien, marchands et artisans, trouvèrent refuge de l’autre côté du fleuve, dans une zone qui faisait alors partie du jeune royaume de Thonburi, dirigé par le roi Taksin le Grand.
Le souverain, conscient de l’importance des échanges commerciaux internationaux et du rôle que les communautés étrangères pouvaient jouer dans la reconstruction du pays, encouragea divers groupes à s’établir près de la nouvelle capitale. Ainsi, autour de Kudi Chin vinrent s’installer non seulement des Chinois, mais aussi des Portugais, des Thaïs bouddhistes, des Musulmans siamois, ainsi que quelques familles d’origine Mon et Laotienne. Le quartier, bien qu’étroit, devint rapidement un véritable creuset culturel, où les habitants, d’origines variées, vivaient côte à côte dans une harmonie à la fois rare et profondément enracinée.
Cette coexistence n’était pas que géographique : elle se traduisait dans l’architecture, les langues parlées, les fêtes religieuses, l’art culinaire et même le caractère des habitants. Encore aujourd’hui, Kudi Chin incarne la beauté de cette cohabitation pacifique, qui s’est maintenue malgré les transformations rapides de Bangkok.
Un musée vivant où se croisent cultures et religions
Ce qui fait la particularité de Kudi Chin, et ce qui frappe immédiatement les visiteurs, c’est la manière dont trois grandes religions coexistent dans un espace minuscule : le bouddhisme, le christianisme et l’islam.
À quelques minutes de marche les uns des autres, se trouvent une mosquée centenaire, un temple bouddhiste majestueux et une église catholique aux accents européens. Chacune de ces constructions raconte une page de l’histoire du quartier, mais elles forment ensemble un tableau harmonieux, révélateur de la diversité culturelle de Bangkok.
Cette proximité n’est pas le fruit du hasard : elle découle d’une volonté historique de permettre à chaque communauté de vivre selon ses croyances, tout en participant à la vie commune. Kudi Chin n’est donc pas seulement un quartier ancien : c’est une leçon de coexistence, un rappel que la diversité peut être source de richesse lorsqu’elle est respectée.
Santa Cruz : le symbole de la communauté portugaise
L’un des monuments les plus emblématiques de Kudi Chin est sans conteste l’église Santa Cruz, facilement reconnaissable à son élégant dôme rouge qui domine les toits du quartier. Fondée en 1770 sur des terres offertes par le roi Taksin à la communauté portugaise, elle représente bien plus qu’un simple lieu de culte. Santa Cruz est un symbole d’identité, un refuge historique pour les descendants des premiers Portugais arrivés au Siam dès le XVIᵉ siècle.
Ces Portugais, jouèrent un rôle crucial dans l’histoire thaïlandaise. Ce sont eux, dit-on, qui introduisirent certaines technologies militaires, de nouvelles techniques culinaires et des styles architecturaux inédits. Leur influence se retrouve aujourd’hui encore dans la gastronomie locale, particulièrement dans les pâtisseries traditionnelles de Kudi Chin.
L’église actuelle, reconstruite au début du XXᵉ siècle dans un style Renaissance mêlant influences locales, impressionne par sa façade claire, son clocher imposant et son intérieur lumineux. En fin de journée, lorsque la lumière du soleil couchant frappe son dôme rouge, Santa Cruz semble flotter au-dessus du fleuve, rappelant aux visiteurs la force des liens qui unissent le Siam à l’Europe depuis plusieurs siècles.

Le sanctuaire chinois Kian An Keng : un havre spirituel
À quelques pas de là se trouve un autre monument important, d’une beauté très différente : le sanctuaire chinois Kian An Keng. Érigé par des réfugiés Hokkien ayant fui la chute d’Ayutthaya, ce sanctuaire reste l’un des plus anciens lieux de culte chinois de Bangkok.
Sa façade richement décorée, avec ses dragons sculptés, ses motifs colorés et ses lanternes traditionnelles, attire immédiatement le regard. À l’intérieur, l’atmosphère est calme, presque mystique. Les senteurs d’encens se mêlent au murmure des prières, tandis que les fidèles viennent allumer des bâtons à la mémoire de leurs ancêtres.
Le sanctuaire est également l’un des centres culturels majeurs de la communauté chinoise du quartier. Il accueille régulièrement des cérémonies traditionnelles, des célébrations du Nouvel An chinois, ainsi que des événements communautaires qui perpétuent les traditions ancestrales.

Wat Kalayanamitr Woramahawihan : grandeur bouddhiste au bord du fleuve
En s’avançant vers la rive, on aperçoit rapidement l’impressionnante silhouette du Wat Kalayanamitr Woramahawihan, l’un des temples les plus imposants de Bangkok. Sa structure massive, ses toits colorés et ses pagodes élégantes dominent le paysage du fleuve.
Le temple abrite le célèbre Luang Pho To, un énorme Bouddha assis de plus de 15 mètres de haut, appelé Sam Po Kong dans la tradition hokkienne. Cette statue majestueuse est vénérée par des milliers de fidèles, tant thaïs que sino-thaïs.
Son sourire serein, tourné vers le fleuve, semble offrir une bénédiction silencieuse à ceux qui passent en bateau devant le temple.
Wat Kalayanamitr n’est pas seulement un lieu spirituel : c’est aussi un repère pour la communauté locale. Les moines y organisent souvent des cérémonies, des enseignements et des rituels qui rassemblent bouddhistes et non-bouddhistes. Dans un quartier aussi varié culturellement, il joue un rôle unificateur.

La mosquée Bang Luang : une architecture unique au monde
Pour compléter ce panorama spirituel, un autre lieu de culte se distingue : la mosquée Bang Luang, également connue sous le nom de mosquée de Kudi Khao. Construite sur un terrain offert par le roi Taksin, elle serait la seule mosquée au monde à intégrer des éléments architecturaux traditionnels thaïlandais, associés à des détails d’inspiration chinoise et européenne.
Avec son toit en bois sculpté, ses couleurs douces et son élégante simplicité, elle ressemble davantage à une maison thaïlandaise ancienne qu’à une mosquée classique. Ce style hybride reflète parfaitement l’esprit du quartier : un mélange harmonieux d’influences diverses, réunies dans un respect mutuel.
En face, la mosquée Tonson, encore plus ancienne, ajoute une autre dimension au paysage religieux. Construite il y a plus de deux siècles, elle témoigne de la présence musulmane historique dans cette partie de Bangkok.

Le musée Baan Kudichin : la mémoire du quartier
Impossible de visiter Kudi Chin sans faire un tour au musée Baan Kudichin, petit mais remarquablement bien aménagé. Installé dans une maison traditionnelle rénovée, le musée présente l’histoire du quartier à travers des photographies anciennes, des objets du quotidien, des cartes, des témoignages et des documents familiaux.
Les visiteurs y apprennent comment différentes communautés se sont installées dans la zone, comment elles ont appris à cohabiter et comment elles ont contribué à façonner l’identité du quartier. On y découvre également les traditions culinaires locales, en particulier celles héritées des Portugais.
Le petit café du musée est un havre de tranquillité : on peut y déguster des pâtisseries, des jus frais ou un café glacé tout en observant la vie du quartier.

Khanom Farang Kudi Chin : une douceur venue du Portugal
Côté gastronomie, Kudi Chin réserve aussi de belles surprises. Le quartier est particulièrement célèbre pour son Khanom Farang Kudi Chin, un gâteau d’origine portugaise qui a traversé les siècles grâce aux familles locales.

Cette pâtisserie, moelleuse et légèrement sucrée, est préparée selon des recettes transmises de génération en génération. On la trouve dans plusieurs échoppes traditionnelles, dont Thanusingha, Laan Mae Pao et Pa Lek Soi 9. Chaque famille y apporte sa touche personnelle, qu’il s’agisse de la cuisson, de la texture ou des ingrédients.
D’autres spécialités locales, comme les boulettes de poisson façon sino-thaïe, les currys légers ou les boissons maison, permettent de découvrir les différentes influences culinaires du quartier.
Pour un repas plus consistant, le restaurant Sakun Thong est une référence. Il propose un mélange raffiné de cuisine thaïe royale et de saveurs portugaises, élaboré par un chef dont les ancêtres vivaient déjà à Kudi Chin il y a plusieurs générations.
Un quartier où il fait bon flâner
Au-delà des monuments et des musées, Kudi Chin séduit surtout par son atmosphère. Ses ruelles étroites, ses maisons colorées et ses fresques murales racontent la vie quotidienne d’un quartier resté à taille humaine. Les chats se prélassent au soleil, les habitants discutent devant leurs portes, les enfants jouent près du fleuve : tout semble inviter à la lenteur et à la contemplation.
Les visiteurs y trouvent une ambiance rare à Bangkok : calme mais vivante, traditionnelle mais ouverte sur le monde, ancienne mais étonnamment moderne.
Partout, sur les murs, des œuvres de street art racontent la mémoire collective : portraits d’ancêtres portugais, scènes de vie quotidienne, motifs chinois ou représentations religieuses. Cette créativité témoigne du dynamisme culturel du quartier.
Comment s’y rendre ?
Accéder à Kudi Chin est simple :
- prenez le MRT jusqu’à Sanam Chai (sortie 5),
- marchez quelques minutes jusqu’au quai Atsadang,
- traversez le fleuve en ferry pour 10 bahts seulement.
Les automobilistes peuvent se garer au Wat Kalayanamitr, qui dispose d’un parking.
Un trésor à découvrir absolument
Que l’on vienne pour sa gastronomie, son histoire ou simplement pour ressentir une atmosphère unique, Kudi Chin offre une immersion rare dans le cœur multiculturel de Bangkok. Ses habitants, fiers de leurs racines et de la diversité qui les unit, incarnent la richesse de ce patrimoine vivant.
Dans un monde où les identités culturelles se brouillent parfois, Kudi Chin rappelle que la coexistence harmonieuse est non seulement possible, mais qu’elle peut devenir une véritable source de beauté, de créativité et de traditions durables.




